Trois femmes exploratrices trop peu connues
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Le 17 décembre 2025
À une époque où l’horizon des femmes était limité, elles ont pris le large. Chacune à leur manière, Nellie Bly, Ida Pfeiffer et Léonie d’Aunet ont défié les convenances et prouvé que la curiosité pouvait être une forme de courage. Voici le portrait de trois pionnières pour qui découvrir le monde était aussi une façon de conquérir leur liberté.
Article en partenariat avec Science & Vie
Ida Pfeiffer (1797-1858) : le monde comme terrain d’études
Agrandir l'image : Portrait en noir et blanc d’une femme assise près d’un globe terrestre, tenant un livre ou un document sur ses genoux.
Franz Hanfstaengl, Public domain, via Wikimedia Commons
Née à Vienne en 1797, Ida Pfeiffer grandit dans un univers corseté où la curiosité féminine n’a pas sa place. Enfant rebelle, elle rêve d’horizons lointains et partage les jeux de ses frères, au grand dam de sa mère. Les récits de James Cook et de Alexander von Humboldt enflamment son imagination ; le goût de l’inconnu ne la quittera plus. Après un mariage malheureux et deux fils élevés, elle décide, à quarante-cinq ans, de vivre enfin selon ses désirs. Sans fortune, sans compagnon, elle s’embarque pour un premier tour du monde en 1846 : Brésil, Chili, Tahiti, Chine, Inde, puis retour par Le Cap. À chaque escale, elle observe, note, collecte. Ses carnets fourmillent de détails sur la flore, les coutumes, les marchés, les gestes quotidiens. « Lorsque je n’étais encore qu’une petite enfant, j’éprouvais déjà un vif désir de voir le monde », écrira-t-elle dans l’un de ses ouvrages ; le rêve d’enfant s’accomplit dans la rigueur de l’observation.
Son second tour du monde, entrepris en 1851, la mène de la Russie à la Californie, de Sumatra à Bornéo, de Madagascar à l’Afrique du Sud. Rien ne l’arrête : ni les tempêtes, ni les fièvres, et surtout pas les regards étonnés de ceux qui découvrent une femme voyageant seule. Partout, elle compare, dessine et envoie ses spécimens aux musées européens. Ses récits, Voyage d’une femme autour du monde et Mon second voyage autour du monde sont traduits dans toute l’Europe et salués par Humboldt et Carl Ritter : une reconnaissance rare pour une exploratrice. Las, en 1857, à Madagascar, elle se trouve mêlée à une tentative de coup d’état, contracte le paludisme et meurt l’année suivante à Vienne.
Mais ses deux tours du monde demeurent comme un double exploit : géographique et intellectuel. Ida Pfeiffer n’explore pas pour conquérir, mais pour comprendre ; elle fait de la découverte une méthode de connaissance et de liberté. À la suite de Magellan, elle prouve que le monde s’agrandit à mesure qu’on l’observe avec précision.
Léonie d’Aunet (1820-1879) : la première au Spitzberg
Agrandir l'image : Portrait_de_Leonie_d_Aunet__epouse_Biard____1820-1879____femme_de_lettres___PH46658__1_of_2_.jpg
En 1839, une jeune Française obtient une autorisation exceptionnelle : embarquer pour une expédition scientifique dans les glaces du Nord. Elle s’appelle Léonie d’Aunet, elle a dix-huit ans, et devient ainsi la première femme européenne à atteindre le Spitzberg, archipel de l’océan Arctique. Aux côtés de son mari, le peintre François-Auguste Biard, elle prend part à la mission dirigée par le capitaine Paul Gaimard à bord de la corvette La Recherche. Là où l’exploration reste un domaine d’hommes, Léonie s’impose par la précision de son regard et la qualité de ses observations.
De cette aventure naîtra Voyage d’une femme au Spitzberg (1854), un texte d’une sensibilité inédite. Elle y décrit la lumière boréale, les glaciers lumineux comme le cristal ou la mer immobile... À travers son écriture, la découverte devient une expérience poétique et sensorielle autant que géographique. Pour Léonie, explorer le monde, c’est d’abord apprendre à le regarder : « J’avais devant moi l’immensité, et je sentais qu’elle me regardait » écrit-elle dans son récit. Son voyage est aussi un manifeste : il affirme la possibilité, pour une femme, de participer à la connaissance du monde. À une époque où l’on enferme les femmes dans les salons, elle brave la glace, les tempêtes et les bonnes manières.
De retour à Paris, elle publie des récits dans la Revue de Paris et poursuit une carrière littéraire indépendante. Sa liaison avec Victor Hugo - révélée publiquement - conduit à son arrestation pour adultère, puis à la prison. Mais Léonie d’Aunet ne se réduit pas à ce scandale. Ses pages sur l’Arctique ne cherchent ni l’héroïsme ni la conquête : elles célèbrent l’émerveillement, la fragilité du monde et la force de la curiosité. Bien avant les grandes exploratrices du XXᵉ siècle, Léonie d’Aunet a fait de la découverte une expérience intérieure - celle d’une femme qui, comme d’autres explorateurs, croyait qu’il fallait se perdre pour comprendre la Terre.
Livre : Voyage d’une femme au Spitzberg
Nellie Bly (1864-1922) : le tour du monde en 72 jours
Agrandir l'image : Photographie en noir et blanc d’une femme debout, vêtue d’une longue robe à carreaux et tenant un objet dans chaque main.
Auteur inconnu, Public domain, via Wikimedia Commons
En 1889, une jeune journaliste new-yorkaise relève un pari insensé : faire le tour du monde plus vite que Phileas Fogg, le héros de Jules Verne. À 25 ans, Nellie Bly embarque seule avec un simple sac de voyage, un manteau et un carnet. Objectif : battre la fiction par la réalité. Du paquebot transatlantique aux trains indiens, des jonques chinoises aux vapeurs du canal de Suez, son périple devient une performance autant qu’un manifeste. « Je ne vois pas pourquoi un homme devrait être censé faire ce qu’une femme ne pourrait pas » aime-t-elle affirmer. Pendant 72 jours, 6 heures et 11 minutes, elle traverse l’Atlantique, l’Europe, l’Asie et le Pacifique, télégraphe ses dépêches et tient le public américain en haleine. À Amiens, Jules Verne, lui-même, la reçoit et lui souhaite « bonne chance ».
Quand elle revient à New York, le 25 janvier 1890, après un tour du monde quasi intégralement en solitaire, la foule l’acclame comme une héroïne moderne. Plus qu’un exploit, ce voyage est une déclaration d’indépendance et une façon de se découvrir soi-même. Avant même ce coup d’éclat, Nellie Bly avait fait parler d’elle en infiltrant un asile psychiatrique pour dénoncer les mauvais traitements subis par les patientes. Plus tard, riche veuve, elle dirigera une entreprise industrielle et mettra en place des avantages sociaux inédits, toujours mue par un même élan : améliorer la condition humaine. Son credo : « si tu veux le faire, tu peux le faire. La question est : le veux-tu ? »
Livre : Le Tour du monde en 72 jours
Samuel Loutaty (Science & Vie)
Voyages aux bouts des mondes : la mer sans limites
À l’occasion de l’exposition « Magellan, un voyage qui changea le monde », le musée s’associe à Science & Vie pour raconter des histoires d’exploration, bousculer nos imaginaires et rendre hommage à quelques-unes de ces personnalités grâce à qui nos horizons tendent toujours plus vers l’infini.
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Les très nombreux découvreurs du Nouveau Monde
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