Les très nombreux découvreurs du Nouveau Monde
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Le 04 novembre 2025
Dans la nuit du 11 au 12 octobre 1492, Christophe Colomb accoste dans les Bahamas. Il mourra persuadé d’avoir mis le pied au Japon ou en Chine. S’il est progressivement célébré au cours du XVIe siècle comme étant le premier à avoir atteint le Nouveau Monde, sa “découverte de l’Amérique” est pourtant un point de vue eurocentré et moderne loin de refléter la réalité.
Article en partenariat avec Science et vie
Vinland, quand les Norois s’installent au Canada
Agrandir l'image : Reconstitution du bateau viking de Gokstad, navire sépulcral du IXe siècle : coque en bois sombre profilée en forme de feuille, aux bordés assemblés à clin et nervures apparentes. L’étrave haute et recourbée évoque la silhouette des langskip scandinaves, emblématiques de la tradition maritime viking.
On pouvait soupçonner la présence d’Européens sur le continent 500 ans avant Christophe Colomb en parcourant Les Sagas islandaises, fresques scandinaves du XIIIe siècle qui relatent les expéditions du fils d’Erik le Rouge. Sans doute romancées, elles n’en mentionnent pas moins le “Vinland”, une terre riche en bois et en vignes probablement sur les côtes canadiennes.
Le site archéologique de l’Anse aux Meadows, sur l’île de Terre-Neuve dans l’actuel Canada, est à ce jour “le seul site norois à proprement parler en Amérique du Nord, rappelle Claire Alix, Maîtresse de conférence en archéologie à la Sorbonne. On pense qu’il s’agissait d’une sorte d'avant-poste, une base pour des expéditions plus au sud, et qu'il n'a pas été occupé très longtemps.” Mais on sait exactement quand. En 2021, une équipe pluridisciplinaire estime dans Nature que les Vikings l’occupaient en 1021. Ils ont pu le définir avec précision grâce au “sursaut cosmique” de 993, probablement une éruption solaire : tout arbre ayant poussé à cette époque en porte les traces dans l’un de ses anneaux, dont la teneur en carbone 14 est supérieure à la normale. En remontant le temps, anneau après anneau et année après année sur trois artefacts découverts sur le site, ils ont ainsi pu dater l’année de coupe de l’arbre.
« On s’entretint des expéditions en Vinland, que l’on regardait comme fort lucratives, à cause de la fertilité du pays. Karlsefne et Snorre préparèrent leur navire, afin de partir au printemps pour ces nouvelles contrées. »
Les Scandinaves s’y seraient installés au cours d’une longue migration qui avait commencé par l’Islande, au IXe siècle, puis le Groënland, au Xe. Pour Claire Alix, “l'exploration vers les côtes américaines est en partie économique. Les Norois du Groenland cherchaient du bois et selon les Sagas, ils allaient s'en procurer au Labrador…” Rien, en tout cas, ne prouve qu’ils aient eu l’ambition de coloniser la zone. Car contrairement aux régions du Groenland où ils s’étaient installés, “l'Amérique du Nord est densément occupée. Certaines hypothèses avancent qu'il n'y avait pas de place pour eux.” Une ou deux décennies après leur arrivée, ils repartent vers le Groënland. Et laissent l’Amérique tomber dans l’oubli.
Les explorateurs du Pacifique
Si les Vikings ont posé le pied sur les côtes est du continent depuis le grand nord, les Polynésiens auraient-ils pu arriver par le Pacifique ? Jusqu’en 2020, l’hypothèse repose sur quelques indices culturels, comme… la patate douce : originaire d’Amérique, on le retrouve en Océanie, et son nom en Polynésie et dans certaines cultures andines semble apparenté. Un indice, pas encore une preuve.
Mais en identifiant une signature commune aux ADN de certaines populations autochtones d’Amérique du sud et d’Océanie, une équipe de Stanford démontre en 2020 que Polynésiens et Amérindiens se sont bien rencontrés autour de 1200. D’après ces travaux, le “contact” aurait pu avoir lieu en Polynésie, où une descendance commune aux deux peuples se serait dispersée. Reste à savoir qui a réellement rejoint l’autre.
Les Polynésiens, ont longtemps fait figure de favoris. L’étude de 2020 semble indiquer le contraire : une embarcation amérindienne aurait pu dériver jusqu’en Océanie. A moins que des Polynésiens n’aient ramené, après avoir exploré le continent américain, des volontaires ou captifs sur leurs bateaux ?
Mythes et légendes de la découverte américaine
Le peuple Navarro doit-il son nom à la “Navarre”, preuve que les pêcheurs à la morue basques y ont posé le pied avant les Espagnols ? On sait aujourd’hui que non, mais c’est pourtant ce qu’affirmaient certains basques au début du XXe siècle. Les Bretons, qui pêchaient le long des côtes de Terre Neuve au XVIe siècle, ont aussi revendiqué la paternité de la découverte. Mais si quelques historiens estiment l’hypothèse plausible, elle est, pour le moment, invérifiée.
Car ils sont nombreux, les peuples à revendiquer la découverte du Nouveau Monde. Phéniciens, Égyptiens ou Chinois, d’après quelques maigres concordances culturelles ou récits troubles, auraient pu en être. Une histoire arabe du XIVe siècle fait aussi mention de Bakari II, souverain malien qui aurait lancé une expédition à l’Ouest et ne serait jamais revenu. Certains historiens y soupçonnent un aller-simple pour l’Amérique. Une légende de plus.
Des “natifs” venus d’Asie
Que les Bretons, les Chinois ou les Phéniciens aient réussi ou non à poser le pied en Amérique, ils seront toujours arrivés plus tard que les “vrais” découvreurs du continent, ceux qui l’ont peuplée pendant des millénaires. Car Christophe Colomb n’a évidemment pas trouvé un continent vierge de toute présence humaine. Incas, Mayas, Mohicans… des populations dites autochtones y ont prospéré et se sont effondrées.
Pendant longtemps, la culture Clovis a été considérée comme la première, il y a 13 000 ans, à s’y être installé après un périple depuis l’Asie comme l’ont démontré des travaux génétiques. “Ces groupes sont arrivés en Alaska il y a 15 000 à 20 000 ans”, détaille Yan Axel Gómez Coutouly, chercheur au laboratoire UMR Archéologie des Amériques du CNRS. Mais ils sont restés bloqués par “une masse glaciaire de plusieurs kilomètres de hauteur” qui allait de la côte ouest à la côte est. Ce n’est qu’à la faveur d’un réchauffement climatique, il y a 13 000 ans environ, que certaines groupes ont pu quitter la Béringie, cette vaste plaine qui reliait alors la Sibérie à l’Alaska, aujourd’hui engloutie sous le détroit de Béring. Plusieurs vagues suivirent. Mais d’autres ont aussi pu les précéder.
“Il y a sûrement eu des migrations plus anciennes passées par la côte, mais nous n’avons pas de preuves directes, notamment de sites côtiers”, regrette l’archéologue. Le site de Monteverde, au Chili, a été le premier à imposer l’idée d’une colonisation pré-Clovis, même si les dates sont débattues. Il y a 14 500 ans ? 18 000 ? Sans parler des traces de pas découvertes sur le site de White Sands, au Nouveau-Mexique, qui pourraient avoir 22 000 ans. “Ça m'a l’air assez convaincant, même si j’attends d’autres études pour confirmer”, tempère Yan Axel Gómez Coutouly. D’autres archéologues suggèrent même, sans preuve formelle à l’heure actuelle, une colonisation ancienne de 30 000, voire 50 000 ans. La Santa Maria n’aurait alors eu que 43 500 ans de retard.
Propos recueillis par Mathias Chaillot (Science et vie)
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