La ville, nouveau terrain de jeu des pêcheurs

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Le 07 juillet 2025

Qui se promène sur le bord des quais de Paris, Lyon ou Montpellier peut les croiser pendant sa flânerie : immobiles, les yeux penchés sur l’eau, les baskets ayant remplacé les bottes, ils déplient leurs cannes à pêche en pleine ville. Entre immeubles et bitume, ils sont les adeptes d’une discipline d’un nouveau genre, loin de l’imagerie classique du pêcheur dans un coin de verdure : la pêche urbaine, aussi appelée street-fishing par ses pratiquants.

Article en partenariat avec National Geographic

Phénomène encore difficile à quantifier, ce mode de pêche contemporain lance ses lignes au cœur des métropoles comme dans les villes moyennes. Les pêcheurs urbains s’installent le long des canaux, aux pieds des ponts ou près des péniches. Là où carpes, silures et sandres aiment se réfugier. Le phénomène a émergé dans les années 1990 dans des pays comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis. En France, il connaît une accélération depuis les années 2000. « La pêche urbaine gagne clairement en popularité ces dernières années, surtout auprès des moins de 25 ans chez qui elle connaît une importante augmentation. Rien qu’à Paris, on compte aujourd’hui quelques 5000 pêcheurs urbains », commente le biophysicien et spécialiste de la vie aquatique Bill François. Membre de l’Union des pêcheurs de Paris, il pêche en ville depuis une quinzaine d’années et a vu une « communauté » se former au fil des ans, portée par des pionniers comme Fred Miessner. 

Les réseaux sociaux pour chambre d'écho

La tendance profite du rajeunissement des pratiquants de la pêche dite « de loisir », observée depuis plusieurs années par la Fédération nationale de la Pêche en France qui note « la forte croissance des jeunes pêcheurs » : entre 2019 et 2023 le nombre de cartes délivrées aux mineurs par la fédération a ainsi augmenté de 32 %. Sur les près de 1,5 million de titulaires d’une carte de pêche (obligatoire pour pêcher en ville comme ailleurs), 27 % ont désormais moins de 18 ans, soit près de 390 000 jeunes ferreurs de poissons.

En 1938, Henri Cartier-Bresson immortalisait au Leica deux couples ouvriers sur les bords de Marne : pique-nique déplié, bouteille de vin et canne à pêche plantée dans l’herbe. Aujourd’hui, au port de l’Arsenal, à Paris, ou sur les bords du Lez, à Montpellier, on déplie cartons à pizza et glacières aux côtés de la boîte à leurres, habillé de marques comme Big Fish 1983, collection de vêtements et accessoires pensés pour les pêcheurs du bitume. Puis l’on immortalise sa prise du bout du smartphone. Car les pêcheurs du XXIème siècle ont naturellement pris les réseaux sociaux pour caisse de résonnance : « Parti pour pêcher le pike [brochet], c’est finalement des silures que j’ai trouvés », écrit le jeune Eliot Malherbe alias @parisian_streetfisher sur son compte Instagram, en postant une série d’impressionnants poissons sortis de l’eau, quand d’autres posent régulièrement devant des prises à la lumière des réverbères.

Lui-même rendu célèbre par sa pêche miraculeuse d’un silure géant, filmée et mise en ligne par l’humoriste Jamel Debbouze, Bill François rappelle qu’à Paris, épicentre de la tendance, ces jeunes pêcheurs sont les héritiers d’une longue tradition : « Paris est au départ une ville de pêcheurs, fondée sur le passage des saumons et des anguilles, comme le montrent des restes de pirogues et de pêcheries datant du néolithique. Elle l’est restée jusqu’au Moyen Âge, avant d’entamer un déclin autour du XVe siècle, accentué par la baisse la qualité de l’eau à l’ère industrielle à partir de 1900. La pêche survit ensuite comme une tradition mais devient parfois un sujet de moqueries car on ne prend alors plus grand-chose... Elle réapparait peu à peu dans les années 1980, avec l’apparition des stations d’épuration et l’amélioration de la qualité de l’eau, avant de se développer plus récemment. »

Une pêche en mouvement

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Un pêcheur face au pont de Manhattan, Seaport, Manhattan, New York, États-Unis
© Lerone Pieters (Unsplash : @leronep) / Droits réservés

Dans la pêche urbaine contemporaine, le matériel est habituellement léger, réduit à l’essentiel, et se range dans un sac pour sauter ensuite dans un métro ou sur son vélo. « Le streetfishing est une activité très active, moderne, basée sur des techniques aux leurres artificiels qui permet de pêcher en bougeant. C’est l’un de ses intérêts : on peut pêcher et ensuite boire un verre en terrasse ou aller au cinéma sans avoir besoin de rentrer chez soi se changer ou déposer son matériel », vante Bill François. Les plus jeunes peuvent s’initier à la pratique lors de leçons après l’école, d’anniversaires ou de stages de vacances, tandis que les adultes peuvent décompresser lors d’un team building entre collègues, comme le proposent désormais plusieurs acteurs de cette tendance, tels Naturlish Academy ou le guide de pêche Stanislas Walotek, fondateur de Panam Fishing. 

La pratique est la plupart du temps associée à celle du « no-kill », également empruntée aux pêcheurs anglo-saxons, consistant à relâcher sa prise sans la tuer. Une « posture éthique » qui traduit « une sensibilité nouvelle à l’égard des animaux et de la nature, portée par les nouvelles générations urbaines, inséparable d’un mouvement de ‘sportization’ des loisirs », résume le sociologue et pêcheur amateur Frédéric Roux, dans une thèse consacrée aux nouveaux usages de la pêche (Des « pêcheurs sans panier » : contribution à une sociologie des nouveaux usages culturels de la nature, 2007). Pour Bill François, la pêche urbaine, comme sa consœur des campagnes, est un « loisir naturaliste avant tout, socle de la connaissance et de la protection des milieux aquatiques ».

Mais qu’ils fréquentent les quais de Seine ou les rivières d’Ardèche, les pêcheurs des villes et des champs poursuivent la même quête : celle d’une patience éprouvée, de la récompense de la prise, d’une manière de se confronter au « mystère de l’eau » décrit par l’écrivain américain Jim Harrison dans ses Mémoires. Pêcheur aguerri, l’auteur des Légendes d’automne convoque aussi une autre vertu universelle de la discipline : « Toute activité qui exige de l’habileté et durant laquelle nous arrivons à fermer notre clapet semble acquérir une sorte d’aura sacrée. »

 

« Paris est au départ une ville de pêcheurs, fondée sur le passage des saumons et des anguilles, comme le montrent des restes de pirogues et de pêcheries datant du néolithique. Elle l’est restée jusqu’au Moyen Âge, avant d’entamer un déclin autour du XVe siècle, accentué par la baisse la qualité de l’eau à l’ère industrielle à partir de 1900 (...) La pêche réapparait peu à peu dans les années 1980, avec l’apparition des stations d’épuration et l’amélioration de la qualité de l’eau, avant de se développer plus récemment. »

Bill François, physicien, naturaliste écrivain, spécialiste de la vie aquatique

Ci-dessus : Bill François visite l'exposition "La pêche au-delà du cliché" avec la commissaire d'exposition Marine Désormeau, Musée national de la Marine – Paris Trocadéro

Propos recueillis par Léa Outier (National Geographic)

La pêche, miroir de sociétés

À l'occasion de la double exposition Jean Gaumy et la mer et La pêche au-delà du cliché. Inédits de la collection au musée national de la Marine jusqu'au 17 août, retour sur l'histoire singulière de cinq communautés de pêcheurs.