Histoire de la citadelle

Bâtie sur un escarpement rocheux, la citadelle de Port-Louis est un édifice imposant marqué par l’histoire de la Bretagne.

Blavet et le fort de l’aigle

Proposition pour le XVe siècle Agrandir l'image : Proposition pour le XVe siècle
Dessin de Jean-Benoît Héron © Musée national de la Marine/ A.Fux

En 1589, une première fortification est élevée pour barrer l’isthme qui mène à Blavet. Il s’agit d’un haut talus édifié par les troupes d’Henri IV (1553-1610), quand ces dernières se retranchent dans le bourg assiégé par l’armée du duc de Mercœur, qui a pris la tête de la Ligue bretonne. Philippe-Emmanuel de Lorraine (1558-1602), duc de Mercœur, est alors gouverneur de Bretagne. Il doute de la sincérité d’Henri IV qui n’a pas encore abjuré le protestantisme. À Blavet, les assiégés finissent par céder et les assaillants tuent « tout ce qu’ils rencontrent, sans discrétion d’âge ni de sexe ».

Au printemps 1590, plusieurs milliers d’Espagnols envoyés par Philippe II d’Espagne (1527-1598) débarquent à Blavet pour soutenir Mercœur et ses ambitions d’indépendance. Pour Philippe II, c’est aussi l’occasion d’implanter des troupes en Bretagne, lieu hautement stratégique situé à mi-chemin entre l’Espagne et les Pays-Bas espagnols.

Bien que Blavet ait été pillé et incendié par les Ligueurs, les Espagnols aménagent un port pour leur flotte et des logements pour leurs soldats. Puis, en 1591, Cristóbal de Rojas (1555-1614), ingénieur militaire qui a travaillé sur de nombreuses places fortes de la péninsule ibérique, construit el Fuerte del Aguila, le Fort de l’Aigle, à l’extrémité de la presqu’île, sur un promontoire granitique d’environ deux hectares. Ce nom fait référence à Don Juan del Aguila (1545-1602), qui commande les troupes espagnoles implantées à Blavet. Ce fort paraît constitué de deux bastions côté terre et d’un boulevard d’artillerie côté mer, d’un donjon – héritage de l’architecture défensive du Moyen Âge –, de logements, d’une chapelle et d’une estacade pour les bateaux.

Port-Louis au XVIe siècle, ville royale

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Dessin de Jean-Benoît Héron © Musée national de la Marine/ A.Fux

En 1598, la signature de la paix de Vervins met fin aux guerres de la Ligue. Les Espagnols sont reconduits vers la péninsule ibérique sur des navires français, à la condition qu’ils détruisent le fort de l’Aigle. Ce dernier n’est cependant que partiellement démoli côté chenal et le front de terre semble être conservé. En 1616, le maréchal de Brissac (1550-1621) se porte acquéreur du fort et reçoit l’ordre de le remettre en état. Car, sur avis de ses ingénieurs convaincus de l’importance stratégique de la rade de Blavet, Louis XIII (1601-1643) a décidé de réédifier le fort et de reprendre en main l’agglomération voisine, Blavet. Cette décision est concrétisée par les lettres patentes du 17 juillet 1618 qui transforment le bourg en cité royale et indiquent que « le lieu-dit Blavet soit retranché, fossoyé, fermé de murailles, bastions et remparts et dorénavant appelé Port-Louis ». Blavet prend alors le nom de Port-Louis et devient symbole de la puissance royale dans une Bretagne contestataire. À la demande du maréchal de Brissac, Jacques Corbineau, aidé de Léonard Malherbe et René Le Meunier, construit la citadelle de Port-Louis de 1616 à 1621.

La citadelle au XVIIe siècle

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Dessin de Jean-Benoît Héron © Musée national de la Marine/ A.Fux

La citadelle de Corbineau reprend en grande partie le tracé de l’ouvrage espagnol et s’enrichit de cinq nouveaux bastions qui lui confèrent un aspect proche de l’actuel édifice. Côté terre, les deux bastions espagnols sont agrandis. Le bastion de Groix, qui fut un temps appelé bastion de Brissac, a été largement remanié depuis. Il comporte des salles souterraines dont l’une a vraisemblablement été utilisée comme chapelle. Côté mer, le bastion des Chambres est établi sur un plan en forme d’as de pique. Il est suivi par le bastion Irrégulier, aux flancs plats, qui ouvre sur le chenal. À l’extrémité de la citadelle, le Grand bastion occupe une position stratégique qui lui assure une vue d’ensemble sur l’avant-rade, le chenal et la rade. Le bastion Camus renferme bon nombre de magasins et souterrains, ainsi que la première poudrière de la citadelle.

Le bastion de la Brèche, enfin, symétrique au bastion des Chambres et lui aussi construit en as de pique, doit son nom à une attaque manquée du duc de Soubise en 1626. Il est parcouru par des souterrains, et des latrines du XIXe siècle y ont été découvertes récemment.

À l’intérieur de la citadelle, les bâtiments sont remaniés pour servir de logis au gouverneur de la place et à son lieutenant, et des casernes abritant les logements des soldats sont construites progressivement autour de la place d’armes. Un corps de garde remplace le donjon et comprend des cachots en partie basse.

Destinée à renforcer la défense du front de terre durant la guerre de Trente Ans (1618-1648) qui fait craindre une nouvelle occupation espagnole, la demi-lune est ajoutée en 1637, accompagnée de deux ponts dormants en bois, de fossés, d’une contrescarpe et d’un chemin couvert. Au même moment, les remparts de la citadelle sont surélevés pour améliorer l’espace de tir et les glacis et les pâtis, utilisés pour l’entraînement des troupes, sont aménagés. Situé face à la demi-lune, à l’extérieur de la citadelle, le bastion Saint-Nicolas constitue en 1642 le dernier élément de ce dispositif défensif sur lequel viendra s’appuyer l’enceinte urbaine.

Lorsqu’il visite la citadelle en 1683, Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), ingénieur du roi, dénonce le travail de Corbineau qui a construit « beaucoup de bastions à tort et à travers », mais vante sa position à l’entrée du chenal qui, au final, en fait « une bonne place ». Les recommandations de Vauban pour améliorer l’organisation intérieure de la citadelle sont suivies d’effet dès 1684 par la construction d’un arsenal et d’une poudrière dans la basse-cour. Magasins, remises, forge et boulangerie sont aménagés dans les remparts, plusieurs citernes et puits sont creusés et, au XVIIIe siècle, les espaces extérieurs sont transformés en jardins pour assurer l’autosuffisance de la citadelle en cas de siège.

À partir de 1666, la Compagnie française des Indes orientales installe au fond de la rade un chantier naval, des magasins et quelques baraquements pour abriter les ouvriers. Ces premières installations vont rapidement se développer et donner naissance à la ville de Lorient, dont le nom provient du premier navire construit par la Compagnie, le Soleil d’Orient. C’est à Lorient, siège de la Compagnie des Indes, que sont débarquées toutes les marchandises exotiques venues d’Asie.

Très vite sont hébergées dans la citadelle de Port-Louis les garnisons chargées de surveiller la côte et de défendre la rade où sont implantées les installations de la Compagnie des Indes tant convoitées par les ennemis du royaume, plus particulièrement les Anglais.

La citadelle au XVIIIe et XIXe siècle

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Dessin de Jean-Benoît Héron © Musée national de la Marine/ A.Fux

La forteresse, édifiée en bordure de l’étroit chenal d’accès à la rade, devient ainsi le centre d’un système défensif élaboré destiné à protéger Lorient : dès 1695, deux ouvrages fortifiés sont implantés dans l’avant-rade puis, à partir du milieu du XVIIIe siècle, le système défensif se densifie depuis l’île de Groix jusqu’à l’intérieur de la rade.

La Révolution française signe la fin de la Compagnie des Indes. La Marine réinvestit alors l’ensemble de ses installations commerciales pour développer l’arsenal militaire. À la citadelle, les militaires poursuivent leur mission de surveillance du chenal et de régulation du trafic, les bastions sont rehaussés et les supports des canons bétonnés. Des observatoires camouflés et des soutes à munitions sont également aménagés sur les remparts. Une vigie est construite sur le Grand bastion et, en partie basse, une grande salle voûtée sert de magasin à poudre.

La citadelle sous l’occupation

Détail sur la citadelle Agrandir l'image : Détail sur la citadelle
La citadelle de Port-Louis et le stand de tir où ont été fusillés les Résistants. A la fin des années 1940. © MINDEF - Service historique de la Défense, Lorient

La Seconde Guerre mondiale représente une période bien sombre dans l’histoire de la citadelle, occupée à partir de juin 1940. Elle est alors englobée dans le dispositif de la Festung Lorient (forteresse de Lorient), destinée à protéger la base de sous-marins et l’aéroport de Kerlin-Bastard (actuel Lann-Bihoué). Les Allemands fortifient les remparts de casemates et de bunkers.

En 1940, les Allemands investissent la citadelle pour contrôler le chenal qui mène à Lorient et à la base de sous-marins. L’édifice est également utilisé comme prison, et en 1944, 69 résistants bretons dont la plupart avaient moins de vingt ans, sont fusillés sans procès au pied de la muraille.

La citadelle de 1945 à nos jours

Vue sur une échauguette Agrandir l'image : Vue sur une échauguette
Extérieur de la citadelle © Musée national de la Marine/ Romain Osi

Après la guerre, la citadelle est réinvestie par la Marine nationale, chargée de surveiller le chenal qui mène à la base de sous-marins. Cet ensemble monumental construit par les Allemands est réutilisé par la Marine et abrite, entre 1945 et 1995, une escadrille de dix sous-marins. Dans la citadelle, les installations de la Seconde Guerre mondiale sont progressivement effacées. Les derniers militaires quittent les lieux en 2007, mais la surveillance du chenal est toujours assurée depuis la vigie située sur le Grand bastion.

Classée monument historique, patrimoine du ministère des Armées, la citadelle de Port-Louis abrite depuis les années 1980 le musée national de la Marine et le musée de la Compagnie des Indes. La citadelle est aujourd’hui considérée comme un établissement patrimonial et culturel majeur qu’il convient de préserver pour les générations futures.

Depuis les années 2000, d’importants travaux d’entretien sont entrepris pour assurer sa pérennité. Les remparts de la citadelle ont fait l’objet de nombreuses campagnes de restauration et plusieurs opérations de fouilles s’y sont déroulées pour mieux connaître la vie quotidienne des soldats qui ont, pendant quatre cents ans, circulé en ces lieux.

La compagnie des indes

En 1664, Colbert (1619-1683), chargé du commerce extérieur sous Louis XIV (1638-1715), fonde la Compagnie française des Indes orientales pour concurrencer le commerce anglais et hollandais. Les Français, solidement ancrés à l’île Bourbon (actuelle île de La Réunion) puis à l’île de France (actuelle île Maurice), s’installent en Inde à Surate, puis à Pondichéry et à Chandernagor. Comme leurs concurrents, ils échangent piastres d’argent en provenance de l’Amérique espagnole contre thé, café, épices, porcelaines, lingots de zinc ou toiles indiennes. Ce commerce est à son apogée au début du XVIIIe siècle. En 1706, les difficultés financières de la Compagnie liées aux guerres menées par Louis XIV l’obligent à sous-traiter ses privilèges à des armateurs privés de Saint-Malo et, en 1719, le banquier John Law fonde la Compagnie perpétuelle des Indes dont les bénéfices doivent servir à combler la dette engendrée par le règne de Louis XIV. Mais la guerre de Sept Ans conduit à la fermeture de la Compagnie en 1769. En 1785, la nouvelle Compagnie des Indes orientales et de la Chine prospère rapidement, mais prend fin en 1790 sous la Révolution française.

Lieu et parcours

Les collections du musée national de la Marine se déploient dans l’écrin exceptionnel de la citadelle de Port-Louis, considérée comme la sentinelle de la rade de Lorient. Située sur un escarpement rocheux et offrant un panorama exceptionnel sur l’Île de Groix, la pointe de Gâvres et Larmor Plage, la citadelle de Port-Louis est riche de plus de 400 ans d’histoire.