Interview - Matthew Tanner - International Congress of Maritime Museums
A l'occasion de la journée internationale des musées organisée par l'ICOM (International Council of Museums), Matthew Tanner président de l’International Congress of Maritime Museums, nous parle du rôle des musées dans la société d'aujourd'hui.
Commençons pas un sujet d’actualité : dans le cadre du One Ocean Summit organisé en février dernier à Brest à l’initiative du Président Macron, vous êtes intervenu au forum international animé par le Musée national de la Marine « Océan, un patrimoine culturel ». Quelle importance revêt selon vous la dimension culturelle dans un événement consacré au fait maritime de cette ampleur ?
Je pense qu'il est très important d'inclure une dimension de patrimoine culturel aux côtés des discussions politiques et scientifiques sur l'océan et sa situation difficile. Pour modifier le comportement humain afin de réduire notre empreinte carbone et de protéger les océans, il faut changer les cœurs et les esprits : c'est un changement culturel qui est nécessaire. Outre les faits et chiffres scientifiques illustrant la situation précaire de nos océans, vous pouvez mobiliser le soutien du public (et des politiques) en mettant en avant le lien émotionnel, culturel et social que nous avons tous avec les océans - et c'est là que les musées maritimes peuvent jouer un rôle important. Nous sommes tous liés par la mer : c'est une ressource partagée. Pendant une grande partie de l'histoire de l'humanité, la mer, les lacs et les rivières ont servi de routes commerciales et de lignes de vie pour l'activité humaine, sa survie et sa croissance. Les ports étaient et sont toujours des creusets internationaux et des centres d'opportunités internationales où les peuples se rencontrent. En illustrant le fait que l'histoire de l'humanité - et son présent - sont inexorablement liés aux océans, et en générant une résonance personnelle et une pertinence pour les publics, les musées maritimes peuvent engager, éduquer et encourager nos publics à réfléchir aux aspects de leur vie qu'ils pourraient changer pour protéger les océans, et à demander à leurs politiciens d'en faire plus également.
Vous exercez la fonction de président de l’International Congress of Maritime Museums. Qu’est-ce que l’ICMM, quel est son rôle et son ambition ? Quels sont les grands sujets qui vous occupent aujourd’hui ?
L’ICMM est le Congrès international des musées maritimes. Fondé en 1972, nous sommes un réseau international composé principalement de musées maritimes mais aussi d'autres organisations du patrimoine maritime, de navires historiques et de personnes travaillant dans le domaine du patrimoine maritime. Nos membres sont issus de 36 pays répartis sur 6 continents.
Tous les deux ans, nous organisons une conférence bi-annuelle d'une semaine dans un lieu différent du monde, au cours de laquelle nous partageons notre travail, échangeons des idées et discutons de questions d'actualité pour notre secteur. Cette année, nous tiendrons le Congrès à Halifax, en Nouvelle-Écosse, au Canada : il s'agit de notre 50e anniversaire. J'encourage vivement vos lecteurs à nous rejoindre ! L’ICMM constitue également un point de contact et d'aide professionnelle pour les musées, grands et petits. Grâce à notre solide réseau de plus de 120 membres, nous pouvons offrir une assistance technique sur la préservation des navires et des bateaux, des possibilités d'échange de collections ou de personnel, des expositions en prêt, la planification, la recherche, la programmation éducative. Nous disposons également de sous-comités de l’ICMM axés sur l'archéologie maritime, la préservation des navires et l'environnement marin. Nous publions périodiquement des documents d'orientation sectoriels sur ces sujets (par exemple, le Code d'éthique en archéologie maritime de l'Accord d'Åland pour les musées maritimes). Nous jouons également un rôle de défenseur du patrimoine maritime, par exemple en publiant des déclarations publiques sur des questions importantes et en soutenant des initiatives telles que le Manifeste sur le patrimoine culturel maritime (Manifeste du One Ocean Summit de Brest) et la Déclaration de Neptune sur le bien-être des marins).
Nous sommes également un comité de l'ICOM à part entière, et nous sommes reliés à la plupart des réseaux régionaux de musées maritimes dans le monde, des États-Unis à la Chine. Nous publions régulièrement un bulletin d'information contenant des informations sur les musées membres et les actualités de l’ICMM. Vous pouvez en savoir plus sur nous, sur les modalités d'adhésion et sur le congrès de cette année sur notre site web ou, pour obtenir de nombreuses informations fascinantes sur les musées maritimes, vous abonner à notre newsletter ou nous suivre sur Twitter @MaritimeMuseums.
Mais surtout, depuis 50 ans, nous inspirons, soutenons et accompagnons les professionnels des musées maritimes par-delà les océans. En ce qui concerne les grandes questions qui nous préoccupent aujourd'hui, nous aimerions faire de l’ICMM une organisation plus diversifiée et inclusive, en particulier pour les membres non anglophones. Par exemple, nous pourrions mettre en place des services de traduction lors des congrès, dans nos communications et dans la représentation au sein des comités. Nous aimerions soutenir davantage les échanges entre membres par le biais de bourses de l’ICMM ; nous assurer que nous faisons notre part pour compenser les émissions de carbone de nos activités ; et encourager une plus grande collaboration sur une série de questions contemporaines communes que nous, en tant que musées maritimes, pouvons illustrer et faire participer nos publics - qu'il s'agisse d'histoires diverses, d'environnement marin et de changement climatique ou de migration.
Dans la société contemporaine, quel rôle peut ou doit jouer un musée maritime ?
Comme j'y ai fait allusion dans mes réponses précédentes, les musées maritimes n'embrassent pas seulement l'ensemble de la culture et de l'histoire de l'humanité, et sont toujours étroitement liés aux défis auxquels nous sommes tous confrontés. En effet, les musées maritimes ont plus à dire sur le monde contemporain que beaucoup d'autres musées ! L'histoire maritime peut être synthétisée en tant qu'histoire mondiale, comme l'illustre de plus en plus la recherche universitaire. L'année dernière, l'échouement dramatique du porte-conteneurs géant Ever Given dans le canal de Suez a été une autre illustration du rôle contemporain du musée maritime moderne. Les chaînes d'approvisionnement à destination et en provenance de l'Europe ont été immédiatement perturbées. Certains navires ont été redirigés vers le Cap, prolongeant ainsi leur voyage. Pour la première fois, il est apparu clairement à quel point le monde dépend de la libre circulation des navires pour le commerce international, et c'est une histoire que les musées maritimes sont parfaitement à même de raconter. Mais il y a aussi des histoires cachées : l'invisibilité du marin moderne, qui vient rarement à terre. Sa vie et ses besoins, surtout en cas de pandémie mondiale, sont des histoires qui doivent être racontées.
Les musées maritimes peuvent et doivent être au cœur de trois grands défis de notre époque : la migration, le changement climatique et les relations internationales. Comme l'a dit Robert Hicks, "les musées maritimes excellent dans la présentation de la nouvelle histoire sociale des contacts interculturels, dans l'illustration des interactions complexes entre les nations à travers les voyages et dans la description des voyages en tant que pèlerinages ou voyages spirituels personnels et collectifs".
Les histoires de migration de personnes à travers les âges, que ce soit volontairement, militairement ou par l'esclavage, ont profondément marqué le monde, et elles marquent profondément la vie des gens aujourd'hui aussi. Il s'agit là d'un exemple de problème contemporain qui ne disparaîtra pas. C'est une histoire vivante que le musée maritime devrait et peut faire sienne, et défendre la longue et complexe histoire des migrations océaniques. Comprendre notre histoire de cette manière donne bien sûr un contexte et une pertinence aux questions contemporaines, et aide tout le monde à trouver un équilibre et à comprendre les interactions humaines.
Comme je l'ai mentionné dans ma réponse à la question 1, l'environnement marin de cette planète bleue est tout aussi pertinent aujourd'hui. Seuls quelques musées maritimes accordent autant d'importance aux écosystèmes marins, dont découle par définition toute activité maritime. Et bien sûr, l'environnement est très menacé aujourd'hui, et la crise climatique s'étend à la navigation et à la pêche d'une manière qui affecte la vie quotidienne de chacun. Le musée maritime est particulièrement bien placé pour développer et aider le public à comprendre ces questions. Comme l'a dit Peter Neil, ancien président de l’ICMM et actuel directeur du World Ocean Observatory : "Aucun autre musée d'histoire ne présente l'environnement naturel comme un élément prédominant du développement culturel de l'homme comme le fait le musée maritime".
En conclusion, je pense que les musées maritimes sont particulièrement bien placés pour aborder ces thèmes contemporains, d'une grande pertinence pour nos publics.
Comme vous le savez, le musée national de la Marine se rénove pour se transformer en un grand musée maritime du XXIe siècle. Pour vous, qu’est-ce que cela signifie et que peut-il apporter aux jeunes ?
Le Musée national de la Marine a toujours été une institution très respectée dans le monde des musées maritimes et au-delà, pour à la fois son importante collection, l’une des plus riches au monde, et son expertise. Il a également joué un rôle actif au sein de l’ICMM tout au long de ses 50 années d'existence et a même accueilli le congrès biennal de l’ICMM en 1981. L’impressionnante rénovation en cours permettra de renforcer encore cette réputation, avec de nouvelles interprétations et expositions sur la mer et son importance pour nous tous. J'ai hâte de le visiter à sa réouverture !
Let's start with a topical subject: as part of the One Ocean Summit organised last February in Brest on the initiative of President Macron, you spoke at the international forum organised by the Musée national de la Marine "Ocean, One Cultural Heritage". How important do you think the cultural dimension is in an event devoted to the maritime fact of this scale?
I think it's very important that a cultural heritage dimension is included alongside political and scientific discussions of the ocean and its predicament. To make the changes in human behaviour that are required to reduce our carbon footprint and protect the oceans you need to change hearts and minds: it is a cultural change that is required. Alongside the scientific facts and figures illustrating the precarious situation of our oceans, you can mobilize public (and political) support by bringing to the fore the emotional, cultural and social connection we all have with the oceans - and here maritime museums can play an important part. We are all linked together by the sea: it is a shared resource. The sea and lakes and rivers for much of human history provided the trade routes and lifelines for human activity and survival and growth. Ports were and are international melting pots and centres of international opportunity where peoples come together. By illustrating that humanity's history - and present - are inexorably intertwined with the oceans, and generating a personal resonance and relevance to audiences, maritime museums can engage, educate and encourage our audiences to reflect on aspects of their lives that they could change to protect the oceans, and to call for their politicians to do more as well.
You are the president of the International Congress of Maritime Museums. What is the ICMM, what is its role and its ambition? What are the major issues that concern you today?
ICMM is the International Congress of Maritime Museums. Founded in 1972, we are an international network comprised primarily of maritime museums but also other maritime heritage organisations, historic vessels and individuals working in the field of maritime heritage. Our members are drawn from 36 countries over 6 continents.
Every other year we convene a biennial week-long conference (or 'Congress') in a different location around the world, at which we share our work, exchange ideas and discuss issues of contemporary relevance to our sector. This year we will be holding the Congress in Halifax, Nova Scotia, Canada: our 50th anniversary conference. I urge your readers to come along! ICMM also provides a focal point of contact and professional help for museums large and small. Via our strong network of over 120 members, can offer technical assistance on ship and boat preservation, opportunities to exchange collections or staff, loan exhibitions, planning, research, educational programming. We also have ICMM sub-committees focusing on maritime archaeology, ship preservation and the marine environment. Periodically we issue sectoral guidance documents relating to these (e.g. the Åland Accord Code of Ethics in maritime archaeology for maritime museums). We also play an advocacy role for maritime heritage e.g. by issuing public statements on issues of note, and supporting initiatives such as the Manifesto on Maritime cultural heritage (A Manifesto of the One Ocean Summit in Brest) and the Neptune Declaration on Seafarer Wellbeing).
We are also an ICOM committee in our own right, as well as connecting to most of the regional maritime museum networks worldwide, from the US to China. We provide a regular newsletter packed with information on member museums and ICMM news. You can find out more about us, how to join and about this year's Congress on our website or, for lots of fascinating maritime museum news, subscribe to our Newsletter or follow us on Twitter @MaritimeMuseums.
Above all, for 50 years we have provided inspiration, support and companionship across the oceans for maritime museum professionals. In terms of major issues that concern us today, we would like to make ICMM a more diverse, inclusive organisation, especially for non-English speaking members (e.g. by increasing translation services at Congresses/in our communications and representation on committees; we would like to support more inter-member staff exchanges via ICMM bursaries; to ensure that we are doing our part to offset carbon emissions from our activities; and to encourage more collaboration on a range of common contemporary issues that we, as maritime museums, can illustrate and engage our audiences in - whether diverse histories, marine environment and climate change or migration.
In contemporary society, what role can or should a maritime museum play?
As I alluded to in my previous answers, maritime museums embrace not only the whole of human culture and history, and are still closely entwined with challenges that face us all. Indeed, maritime museums have more to say about the contemporary world than many other museums! Maritime history can be synthesized as world history, as academic research is increasingly illustrating. Another graphic illustration of the contemporary role of the modern maritime museum last year was the dramatic grounding of the giant container ship Ever Given across the Suez Canal. There was an immediate disruption to supply chains to and from Europe. Some ships were re-routed round the Cape, thus extending their voyages. For the first time it became very apparent just how much the world depends upon the free flow of ships for international trade, and this is a story that maritime museums are brilliantly placed to tell. But there are hidden stories as well: the invisibility of the modern seafarer, who rarely now comes ashore - their lives and needs, especially in a global pandemic, are stories that need to be told.
Maritime museums can and should be at the heart of three great challenges of our age: Migration, Climate change, and International relations. As Robert Hicks said "Maritime museums excel at presenting the new social history of cross-cultural contact, at showing the complex interactions between nations through voyages, and at depicting voyages as both personal and collective pilgrimages or spiritual journeys."
The stories of migration of people through the ages, both voluntarily, militarily or through slavery have profoundly affected the world, and they profoundly affect peoples’ lives today too. This is an example of a contemporary issue that will not go away – it is living history that the maritime museum should and can take on as its own, and speak out for the long and complex history of ocean migration. Understanding our histories in this way of course gives context and relevance to the contemporary issues, and helps everyone come to terms with the balance and understanding of human interactions.
Equally relevant now, as I mentioned in my answer to Q.1 is the marine environment of this blue planet. Only a few maritime museums give equal weight to the marine ecosystems from which all maritime activity by definition is derived. And of course the environment is very much under threat today, and the climate crisis extends to shipping and fisheries in a way that effects everybody’s daily life. The maritime museum is particularly well placed to develop and help public understanding of the issues. As a former President of ICMM and now director of the World Ocean Observatory, Peter Neil, said: ‘No other history museum figures the natural environment as a predominant feature of man’s cultural development as much as does the maritime museum’.
In conclusion, I believe maritime museums are uniquely placed to engage with these contemporary themes, of huge relevance to our audiences.
As you know, the Musée national de la Marine is being renovated to become a major maritime museum for the 21st century. What does this mean to you and what can it bring to young people?
The Musée national de la Marine has always been a highly respected institution within the maritime museum world and beyond, with its rich, world-class collections and expertise. It has also played an active role in ICMM throughout our 50 year history and indeed hosted the biennial ICMM Congress of 1981. The impressive renovations will enhance this reputation even further, with new interpretation and displays on the sea and its significance for us all. Look forward to the day when I can visit!
Interview Lucie Badin